Acid de Ray Barretto

Un morceau à la loupe

« Acid » le morceau culte de Ray Barretto, est décortiqué ici par Joachim « jsalsero ».
Ancien musicien et chanteur de salsa, Joachim est co-directeur de Callesol. Il intervient régulièrement à l’école Callesol pour des stages et cours autour de la musicalité, et comme DJ.

A quel genre s’apparente Acid de Ray Barretto ?

Il est hybride :

  • cha cha cha : une partie de la section rythmique utilise les conventions musicales du cha cha cha, on peut notamment le reconnaître avec l’utilisation du guïro et le fait que le timbalero utilise la cloche cha cha cha sur tous les temps du morceau,
  • boogaloo : en 1972, le boogaloo nuyoricain s’est éteint, il en reste quelques ingrédients dans la latin soul, que des musiciens comme Ray Barretto ou Joe Bataan développeront aux alentours de cette époque,
  • descarga : tout comme dans le tube « Descarga Cubana » de Israel « Cachao » Lopez, inventeur de la descarga, il suffit parfois d’un bon motif de basse pour servir de prétexte à un enchaînement de solos; c’est le cas ici.

Le morceau est en clave 2-3. Dès le début du morceau, grâce à la basse, on peut l’identifier : 2 notes de basses correspondent à 2 notes importantes de la clave, les 2e et 3e coups de la mesure à 3 coups, et s’en servent comme points d’appui rythmiques.

On peut diviser le morceau en 4 parties, ce découpage se basant sur l’arrivée progressive des instruments de la section rythmique.

1ère partie : intro et solo de trompettes (49 mesures)

La base rythmique s’installe peu à peu, d’abord la basse, puis le guïro, puis la clave. Une fois cette base installée, nous avons droit à un 1er solo de trompette.

-  0’00 » basse seule, sur un motif répétitif de 2 mesures, qui seront jouées sans varier jusqu’à la fin du morceau (4 mesures)
-  0’06 » entrée du guïro (4 mesures)
-  0’12 » entrée des timbales, difficilement audibles, jouées sur le côté métallique de l’instrument (1 mesure)
-  0’13 » entrée de la clave : le morceau est en 2-3, mais la clave entre en 3-2, on dirait presque qu’elle a oublié une mesure avant de commencer… (5 mesures)
-  0’23 » entrée de la trompette ; on note que vers 0’36 », le trompettiste commence à utiliser une sourdine sur son intrument (34 mesures)

2e partie : solos de timbales et de trompette (60 mesures)

Les congas entrent en jeu, servant de base rythmique à un solo de timbales, puis un autre solo de trompette.

-  1’13 » entrée des congas et début du solo de timbales (22 mesures)
-  1’46 » rythmique seule, « à vide », pendant lesquelles il ne se passe rien de particulier (4 mesures)
-  1’52 » solo de trompette, à nouveau (30 mesures)
-  2’38 » rythmique seul, encore une fois « à vide » ; on entend quelqu’un proposer de lancer le piano, mais c’est l’intervention de Barretto qui est finalement annoncée (4 mesures).

3e partie : solo de congas (50 mesures)

La cloche des timbales entre en jeu, marquant tous les temps. Cette nouvelle assise rythmique sert de soutien à un très long solo de conga de Ray Barretto.

  • 2’44 » entrée de la cloche des timbales, sur tout les temps, et début du solo de congas (48 mesures)
  • 3’58 » arrêt de la cloche des timbales, rythmique « à vide » (2 mesures)

Le solo de congas est sans aucun doute le morceau de bravoure de ce morceau. A tout seigneur tout honneur, jetons donc une oreille plus attentive à ce que fait ici Ray Barretto.

Pour quelqu’un qui n’est pas forcément très habitué à écouter ce que font les percus en détail, la première impression est généralement de faire attention aux sons les plus aigus.

Ce n’est pourtant pas forcément là que se trouve la partie la plus intéressante du solo.

Avec ce titre, nous avons une chance de tout bien entendre, parce que l’enregistrement est assez dépouillé. Il n’y a que peu d’autres instruments qui viennent brouiller ou masquer l’écoute des congas, c’est donc d’autant plus facile.

Par exemple, Ray Barretto commence son solo par un long roulement, puis 3 roulements plus courts (et plus « serrés », c’est-à-dire avec plus de coups casés dans un même nombre de temps – j’espère que je suis assez clair…). Chacun de ces 3 roulements plus serrés commence par des coups étouffés.

Essayez de les repérer pour développer votre écoute. Vous pourrez ensuite vous rendre compte comment ce genre de notes, même peu audibles, participent au solo.

Essayez aussi de repérer les petites phrases répétitives. Pour varier les sonorités, Ray utilise parfois la même petite phrase rythmique, qu’il joue sur la conga grave, puis sur l’aigüe, puis avec un son plus sec (technique du « claqué » sur la peau de l’instrument.

A propos de techniques de frappes, un des moyens utilisés dans ce solo consiste à varier sa technique de frappe au cours du même roulement. Ainsi, entre le début et la fin d’un même roulement, le son de la conga passe de « étouffé », à « claqué » puis à « ouvert, puis refait le chemin inverse.

Enfin, vous pouvez également vous pencher sur ce qui me paraît vraiment la partie la plus intéressante de ce solo (entre 3’43 » et 3’47 » sur le CD, et dans une moindre mesure entre 2’58 » et 3’08 » – avec le minutage, ce sera plus facile à caler que si je vous donne le numéro de la mesure) : Ray Barretto joue deux rythmes différents, l’un en roulement sur la conga aigüe, l’autre sur la conga grave. Dans le premier exemple que je vous donne (entre 3’43 » et 3’47 »), ce second rythme est une plena.

Certains d’entre vous l’entendront peut-être plus facilement que d’autres, parce que ce n’est pas forcément évident à isoler dans « l’espace sonore » quand on n’a pas l’habitude de le faire.

Si vous avez des difficultés à l’identifier, changez le réglage de votre chaîne pour renforcer les graves. Vous pouvez aussi essayer d’identifier le son de la conga grave sur d’autres parties du solo, lorsqu’elle n’intervient pas en simultané, mais de façon plus isolée ; par analogie, vous la retrouverez plus facilement dans le passage indiqué.

4e partie : moña 42 mesures

Le piano entre, suivi de la cloche du bongo qui remplace le guïro. Une des trompettes joue une phrase simple et répétitive, par dessus laquelle la seconde improvise à nouveau : c’est ce qu’on appelle une moña. Le morceau se termine par une baisse progressive du volume sonore (ou fade out).

  • 4’01 » entrée du piano, les timbales repassent en « cascara », c’est-à-dire sur le côté métallique de l’instrument (8 mesures)
  • 4’14 » entrée de la cloche du bongocero, qui arrête donc de jouer le guïro, entrée de la cymbale des timbales (4 mesures)
  • 4’20 » entrée de la moña, avec une phrase de trompette simple, qui boucle sur 4 mesures, par-dessus laquelle une seconde trompette va improviser, et « fade out »

En conclusion 

Plusieurs éléments permettent de supposer qu’au-delà des solos, c’est toute la structure du morceau qui est improvisée :

  • les mesures « à vide »,
  • les entrée décalées des instruments (la clave qui entre « à l’envers »),
  • les exclamations des musiciens (« piano ? pas piano ? Barretto va jouer ? »),
  • la « carrure » approximative de certains solos (22, 34 ou 30 mesures, alors qu’il est plus courant de caler les solos sur des multiples de 4 mesures).

C’est donc la spontanéité de l’interprétation qui a été recherchée par Ray Barretto au moment d’enregistrer ce morceau. Un pari réussi, car on gagne ici en « fraîcheur » musicale beaucoup plus que ce qu’on perd en qualité d’interprétation.

Acid + Hard Hands (Nascente); Acid (Castle / Pie); Acid (rééd. Fania); Compil The Best (Fania);
Compil. Salsa CalienteDe Nu York (Fania); Acid + Head Sounds (Vampisoul)

En complément, retrouvez l’article de Joachim « jsalsero » et Nadège sur la structure des morceaux salsa.

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